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Les « copropriétés de fait » à Rio de Janeiro: De la « favella » à la « copropriété fermée »

 

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Le processus de transformations urbaines liées à la privatisation et à la fermeture des espaces est en cours dans plusieurs métropoles dans le monde.

Il s’agit d’une transformation du modèle urbain compromettant les valeurs idéal-typiques d’ouverture et de liberté de circulation.

On le soupçonne ainsi de mettre en danger les interactions entre les individus et les différents groupes sociaux.

Si l’intensité de ce processus varie selon la ville ou la métropole considérée, les signes de cette transformation sont souvent les mêmes : construction de murs, isolement de la couche la plus aisée, privatisation des espaces publics et accroissement des technologies de surveillance et de sécurité qui fragmentent de plus en plus l’espace urbain, divisent les groupes sociaux et changent le caractère de la vie publique en allant à l’encontre des idéaux modernes de la vie urbaine.

Il s’agit d’une nouvelle forme de fabrication de la ville, où les pouvoirs publics appliquent un laisser-faire ; la production des espaces urbains résidentiels pour les couches les plus aisées de la société étant cédée au secteur privé (Caldeira, 2000).

L’expression de ce phénomène dans les grandes villes est observé notamment à partir de l’implantation des formes de logements en copropriété, fermés au public et souvent destinés aux couches les plus aisées de la population :

Barrio cerrado en Argentine, condominio fechado au Brésil, gated community aux États-Unis, fraccionamento cerrado au Mexique et au Chili.

Les noms donnés à ce type d’habitat sont divers dans chaque pays, mais les raisons évoquées pour justifier cette fermeture sont souvent les mêmes :la sécurité, la recherche d’un statut social, le souhait de vivre entre soi, la volonté de s’éloigner de l’agitation qui règne dans des grandes villes.

Au Brésil, cette forme d’habitat s’incarne dans des ensembles résidentiels fermés et sécurisés.

Dans le cas brésilien, Capron (2006, p. 264) la définit ainsi : C’est surtout le développement des immeubles, en particulier des tours de logement, qui a été privilégié, en partie en raison du sentiment d’insécurité.

Un même ensemble grillagé et fermé peut ainsi contenir plusieurs immeubles ou tours elles-mêmes en copropriété, mais aussi des maisons qui ne le sont pas. La structure de copropriété est complexe, avec des niveaux d’emboîtement peu visibles à l’œil nu.

Les condominios fermés offrent à leurs résidents des piscines, des terrains de sports, des lieux de recréation, des salles de jeux, des saunas, mais aussi, entre autres, des services tels que laveries, parkings, salons pour les fêtes privées.

Il y a des condominios fermés plus sophistiqués qui offrent également à l’intérieur des petits supermarchés, des pistes cyclables, des salles de sports, et autres produits et services de consommation faisant partie de la vie quotidienne des couches les plus aisées de la population brésilienne.

À Rio de Janeiro, ces condominios fermés apparurent dans les années 1970 et se sont sophistiqué du point de vue de la privatisation des espaces et de l’offre de services à partir de la fin des années 1980, lorsque la violence à Rio de Janeiro s’intensifia en raison du développement des organisations de trafiquants de drogues et de leurs guerres pour la conquête des espaces de vente de stupéfiants dans les favelas de la ville.

Un nouveau type d’habitat se fit jour à partir de l’année 2000 à Rio de Janeiro, reprenant les caractéristiques des condominios fermés existant au Brésil, mais accueillant une couche plus populaire de la population.

Dénommé« copropriété de fait » – c’est-à-dire fonctionnant comme s’il y avait un droit de copropriété établi – ce type d’habitat se constitue à partir de « l’invasion de terrains » par une population venue notamment des favelas.

La reconversion en habitat se fait par les occupants eux-mêmes, hybridant des caractéristiques provenant tant de leurs espaces d’habitat d’origine que de l’espace privé des condominios fermés de la ville.

Jusqu’à fin 2009, on ne connaissait que trois « invasions »de ce type à Rio de Janeiro, situées très proches les unes des autres : le « Chaparral », le « Condominio Barra Vela » et le « Palace ».

Morphologiquement, ces invasions sont clôturées par les murs qui existaient auparavant et ferment souvent leurs accès avec des portes ou des grilles, parfois surveillées jour et nuit par un gardien.

 

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Du point de vue de la forme d’habitat d’origine des occupants, la favela, les « copropriétés de fait » sont considérées comme un nouveau cas de figure de l’habitat informel dans la ville de Rio de Janeiro, même si elles sont quantitativement exceptionnelles.

Leur originalité s’incarne tant dans leurs fonctionnements et modes de gestion internes que dans leurs constituants spatiaux et leurs rapports à leurs enveloppes territoriales.

 

LES « COPROPRIÉTÉS DE FAIT » DE L’AVENIDA BRASIL:

Les caractéristiques générales communes aux trois invasions sont : localisation dans des friches industrielles ou commerciales ; gestion par un syndic, sorte d’administrateur de la « copropriété » ; paiement par les habitants d’une taxe de copropriété, correspondant normalement aux dépenses collectives (gardien, femme de ménage, réparations et maintenances, etc.) ; Illégalité juridique ; implantation dans une zone sous contrôle d’un pouvoir parallèle à l’État, assez répandu dans la ville de Rio de Janeiro, dénommé milicia.

À Rio de Janeiro les milicias se caractérisent par la formation de groupes, en dehors de tout cadre formel, composés, entre autres, de pompiers, militaires, agents de prison et policiers, à la retraite ou en activité et dont l’objectif est l’extorsion de l’argent et le contrôle des zones d’habitat abandonnées par l’État, dont des favelas.

Ces milicianos ont souvent expulsé les trafiquants de drogues des zones qu’ils dominaient pour en prendre le contrôle.

L’emploi du terme « copropriété de fait » dans la caractérisation des « invasions » de l’Avenida Brasil, est justifié, en partie, par les définitions de copropriété en France et au Brésil.

Il s’agit bien d’un ensemble de constructions (immeuble et maisons) dont la propriété (même si illégale du point de vue juridique) est répartie entre plusieurs personnes par lots et appartements, comprenant chacun une partie privative et une quote-part de parties communes. Cependant, les parties communes sont progressivement occupées par des nouvelles unités d’habitation.

À l’inverse des favelas de Rio de Janeiro, la configuration spatiale à l’intérieur des « copropriétés de fait » se caractérise par un dessin orthogonal et ordonné.

Dans le « Condomino Barra Vela », les occupants ont fait appel à un ingénieur pour renforcer la structure de l’immeuble principal existant sur le terrain et pour réaliser un projet de reconversion de l’espace.

Le résultat se traduit par des modules d’unité d’habitation de même surface, prévus pour une famille avec deux ou trois enfants, présentant une surface supérieure à celle constatée dans la plupart des logements construits dans les favelas

Le syndic a déterminé la couleur des façades et les matériaux utilisés pour les portes et fenêtres, ce qui homogénéise les étages de l’immeuble (Figure 2).

 

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Les immeubles ont été entièrement occupés et divisés en appartements par les occupants qui arrivaient au fur et à mesure ; l’entrepôt a été entièrement loti de parcelles et la toiture a été retirée par la suite.

L’espace vide est devenu une zone de loisirs dans une partie ; dans l’autre on observe l’extension d’unités d’habitation récemment construites, ainsi que quelques maisons qui datent du début de l’invasion. Dans la zone de loisirs, une place a été aménagée, avec une piscine et une scène pour des concerts et spectacles. Le « Palace » comporte également un terrain de sports à l’intérieur (Figure 4).

La présence de tous ces équipements font de cette « copropriété de fait » la plus sophistiquée des trois invasions étudiées.

Dans le cas des « copropriétés de fait », l’occupation des terrains qui disposent d’une infrastructure préalable conduit les habitants à une reconversion des espaces et non à une construction complète de la structure d’habitat, comme c’est le cas dans les favelas.

Dans le cas du « Palace » les habitants se sont servis des éléments de structure de l’entrepôt, tels que les poutres et les colonnes pour construire leurs maisons.

Le résultat est un espace construit de maisons et couloirs, modulé selon la structure existante.

En ce qui concerne l’infrastructure de base, la distribution des réseaux d’eau et d’électricité a été réalisée par les occupants. Le caractère informel n’a pas empêché que le réseau d’électricité soit régularisé auprès de la compagnie de distribution d’énergie de la ville. C’est le cas du « Condominio Barra Vela », qui présente des compteurs d’énergie pour chacun des appartements de l’immeuble principal de l’invasion.

À l’intérieur des « copropriétés de fait », comme dans les favelas, des commerces s’installent et répondent aux besoins des habitants.

L’augmentation du nombre des constructions dans les « copropriétés de fait »se fait à une vitesse impressionnante depuis 2005.

Cette expansion se réalise soit sur les terrains vides, soit par un processus de « verticalisation », c’est-à-dire, par une maison construite sur l’autre, comme dans les favelas. Actuellement, il ne reste plus d’espaces libres, à part la zone de loisirs.

À titre d’illustration, en 2009 le« Palace »comptait environ 201 résidences et 9 boutiques distribuées sur un terrain d’une surface totale de 3.700m². Ceci révèle que les « copropriétés de fait » représentent une alternative résidentielle de fait pour au moins une partie de la population des favelas.

 

 

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APPROPRIATION D’UN MODÈLE OU RÉINVENTION DE L’HABITAT POPULAIRE?

Peut-on affirmer que la fortification et la privatisation des espaces dans la ville sont en train de toucher les couches les plus défavorisées en leur faisant adopter des dispositifs de privatisation ressemblant à ceux des couches les plus aisées ?

Y répondre nécessite – au préalable – de revenir sur la question sécuritaire affectant toute la population de Rio de Janeiro. L’une des motivations principales évoquées par les habitants interviewés dans le « Palace » pour partir de leur favela d’origine et s’installer dans les invasions est le désir d’échapper à la brutalité.

Les « lois » imposées par les trafiquants et la violence croissante à l’intérieur de la favela transforment, depuis longtemps, cette dernière en un espace de crime et de non droit.

L’absence de tranquillité, les échanges de tirs à répétition et le risque de voir les enfants se mêler au crime constituent des contraintes et des nuisances pour les habitants. Partant, depuis environ dix ans, la violence, l’insécurité et la peur constituent des causes essentielles au déménagement des favelados (les habitants de favelas)vers d’autres habitations précaires (Sampaio, 1998), mais plus sécurisées, telles que les « invasions », avec une réussite certaine.

 

 

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Dans les quartiers populaires non sécurisés, tels que les favelas, la surveillance est un acte collectif, sans délégation .

L’ignorance des codes et des normes de comportements spécifiques au lieu rend aisément repérable dans un milieu caractérisé par l’exigence de la connaissance des règles – notamment en raison de la présence des gangs de trafiquants de drogues – mais l’imposition de l’application de ces dernières autrement que par la force est difficile en l’absence de tout cadre formel.

Dans les condominios sécurisés, le rapport à l’étranger est différent, notamment parce que la gestion de son contrôle est confiée à des agents de surveillance. Celui qui, par exemple, hésite à prendre un chemin ou qui gare trop longtemps sa voiture à l’intérieur de l’ensemble résidentiel sera repéré et sanctionné par les agents de surveillance du condominio, légitimés à faire respecter un ordre supposément souhaité par tous les habitants, et non une fraction d’entre eux, comme dans les favelas.

Dans le cas des « invasions », le rapport à l’étranger est le même que celui des quartiers populaires, mais s’y ajoute, comme dans les condominios fermés, la présence d’agents de surveillance s’assurant de la tranquillité de la zone, malgré l’informalité et l’aspect parfois précaire de certaines maisons. Comme dans les favelas, les règles imposées par le « pouvoir » local sont connues et souvent respectées par tous les habitants, même si elles ne sont affichées nulle part, ou si elles ne sont pas issues d’un choix collectif.

 

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Les syndics des « copropriétés de fait »partent du principe que ceux qui ne sont pas satisfaits des normes – telles que l’absence de drogues, l’interdiction de bruit à partir de 22 h et d’autres règles d’intérêt collectif – peuvent quitter le milieu d’habitat et retourner dans la favela, où ces comportements sont « tolérés ».

Reste que l’informalité de l’habitat et l’absence de réglementation (comme une convention de copropriété) génèrent des actions arbitraires qui relèvent pas de la constitution supposément démocratique d’une copropriété.

Toutefois, concernant la structure de gestion, dans le cas des copropriétés brésiliennes, la présence d’un syndic qui a été élu par les copropriétaires (dans le cas du « Palace ») et qui habitait à ce moment-là à l’intérieur de l’invasion montre un rapprochement du modèle de copropriété de la « ville formelle » (Vaz, 1998).

Ce qui n’exclut pas l’absence de concertation dans la prise de décisions concernant la communauté. Les « copropriétés de fait » jonglent ainsi avec les références de l’habitat formel et informel, constituant une forme nouvelle d’habiter.

 

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À LA RECHERCHE D’UN MODÈLE D’HABITAT AUTRE QUE LA FAVELA:

La première différence observée entre une favela et une « copropriété de fait » est la présence d’un mur qui entoure et limite le milieu d’habitat.

La question se pose de savoir si les frontières matérielles sont un instrument de mise en œuvre d’une volonté de mise à l’écart :« Ce sont les modes de vie et d’habiter des résidents qui sont révélateurs d’une fragilisation du lien social ou les formes urbaines qui génèrent une diminution de celui-ci? » (Capron, 2006, p. 250).

Quelle que soit la réponse, la mise à distance physique par la discontinuité et les coupures spatiales contribue à la fragmentation urbaine.

La majorité des résidents du « Palace » évoque comme intérêt principal des « invasions » la possibilité d’éviter de côtoyer les trafiquants de drogues.

L’expansion du modèle « d’enclave résidentielle » (Caldeira, 2000) relèverait ainsi dans les « copropriétés de fait »d’une volonté de mise à distance socio-spatiale. Toutefois, plus que les murs, frontière physique bien marquée, ce sont les règlements intérieurs des copropriétés qui révèlent la volonté de stabiliser et d’homogénéiser l’environnement social et spatial, de produire un entre-soi capable de gérer les débordements dans un contexte où les institutions publiques ne sont guère capables d’influer sur les conduites individuelles (Capron, 2006).

Dans toutes les « copropriétés de fait »observées, le point le plus important » est de juguler le trafic de drogue.

Ainsi, les trois « invasions » de l’Avenida Brasil interdisent tout usage ou commercialisation de stupéfiants, ce qui pérennise la stabilité du pouvoir de la milicia qui domine la zone, et assure, en même temps, la tranquillité des habitants.

Une deuxième différence marquante entre la favela et la « copropriété de fait » concerne la présence d’équipements collectifs, construits à l’initiative des habitants, comme dans le « Palace ».

Cette caractéristique permet de faire un parallèle entre les « invasions » et les condominios fermés

. Dans le cas du modèle des condominios fermés brésiliens la publicité faite à ces équipements vise, entre autres, à entretenir une image d’exclusivité – voire ostentatoire – du lieu d’habitat, tout en enfermant les résidents dans des murs qui les protègent des « dangers » et des contacts imprévus de la ville.

Dans le cas des« copropriétés de fait », les murs et les équipements accordent certes également à leurs résidents un sentiment de sécurité et de confort, mais l’on n’y retrouve pas le même désir de fermeture et d’exclusivité.

 

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Si quelques habitants du « Palace »témoignent bien d’une certaine fierté de pouvoir dire habiter dans la « copropriété », avec gardien et piscine, échapper aux conflits, parfois quotidiens, entre les gangs de trafiquants de drogues, ou avec les forces policières semble plus important que se distinguer socialement et s’abstraire de la ville.

À noter qu’il en va de même, à Rio de Janeiro, dans les petits lotissements pour les classes moyennes, les raisons évoquées pour habiter dans ces condominios fermés étant le plus souvent la qualité de vie pour les enfants, la tranquillité, et la protection des biens. 24Dans le cas des « copropriétés de fait » la fierté de la part de certains habitants est induite non pas par le sentiment d’être différents, mais par la réussite du projet d’habitat.

Les difficultés des premiers mois d’occupation de ces espaces, abandonnés depuis longtemps, révèlent l’obstination de ceux qui ont pu résister à l’absence de lumière, de toilettes, à la présence de rats et de cafards ou encore aux inondations lors de pluies estivales. Ce n’est qu’après un certain temps que le risque d’expulsion du terrain devient faible et que l’investissement dans l’habitat et dans les parties communes prend forme.

Les baraques deviennent des maisons en maçonnerie, des équipements sont implantés (dans le cas du « Palace »), des améliorations sont mises en place, tels que des revêtements des sols dans les espaces communs, etc.

Cette conquête de l’espace d’habitat à partir de la reconversion menée par les premiers habitants est le point clé pour comprendre la fierté d’habiter dans un espace qui peut être considéré aujourd’hui comme une copropriété. 25Si souhait de distinction il y a, il se manifeste à l’égard de l’habitat d’origine, la favela. Dans le cas du« Palace », les entretiens ont révélé que ses habitants ne considèrent pas les « invasions »comme des favelas. Pour eux, la favela représente le désordre et les favelados sont vus comme des gens qui ne savent pas se comporter en société.

Les « invasions »sont considérées comme une catégorie au-dessus des chaotiques favelas, comme une comunidade (communauté), comme un chez-soi plutôt qu’un entre-soi.

Les « copropriétés de fait » représentent pour leurs occupants un habitat de qualité qu’ils ne trouvaient pas dans leurs favelas d’origine. Les règles les rassurent.

 

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DES RÉFLEXIONS, PLUTÔT QUE DES CONCLUSIONS:

Deux pistes principales de réflexion contribuent à comprendre la production des « copropriétés de fait » à Rio de Janeiro.

La première évoque un processus à l’œuvre dans les métropoles du monde, que l’on s’ait être particulièrement présent au Brésil, et d’une façon générale en Amérique Latine, où l’insécurité, la violence urbaines, et les fortes inégalités sociales ont encouragé la construction et l’expansion de quartiers et de copropriétés entourés de murs et de barrières en raison de l’abandon de la gestion de l’espace public par les institutions et de l’incapacité de l’État à maîtriser la violence et à assurer la sécurité et l’ordre public (Capron, 2006).

Ajouté à la connivence entre les forces de l’ordre, les trafiquants de drogues et les réseaux de corruption, à l’impunité et à la non légitimation de l’État de droit, cet état de fait – caractéristique de Rio de Janeiro – ne pouvait guère aboutir qu’à l’instauration d’une profonde injustice sociale et d’une grande insécurité. Il est ainsi logique que toutes les classes sociales – y compris les plus défavorisées – cherchent à privatiser, en quelque sorte, leurs espaces d’habitat pour se préserver de la violence.

La deuxième piste de réflexion nous entraîne au-delà de la question sécuritaire. Le couplage « abandon-privatisation »produit un espace public de mauvaise qualité qui ne stimule pas les interactions sociales et entraîne la création d’un cercle vicieux :

plus on progresse dans une logique de fermeture et de privatisation des espaces, plus l’espace public est délaissé – et réciproquement. Ce vaut tout particulièrement pour le Brésil (Caldeira, 2000).

Une fois que les « enclaves fortifiées »ont été réalisées pour les couches les plus aisées, l’espace public et/ou vacant a été livré à ceux qui ne pouvaient pas payer pour entrer dans les espaces fermés.

Les « copropriétés de fait »révèlent ainsi un processus d’appropriation et de privatisation des espaces résiduels de la ville (ici les terrains d’usine abandonnés)par les couches les plus défavorisées.

Situées à Rio de Janeiro dans une zone de la ville délaissée, car sa fonction industrielle n’est plus d’actualité et la présence de plusieurs favelas ne suscite pas l’intérêt du secteur immobilier, les « copropriétés de fait »ont des traits d’« oasis ».

Ce sont des espaces judicieusement appropriés par leurs occupants et qui présentent un niveau de reconversion fonctionnelle qui mériterait d’être appliqué à l’ensemble du milieu urbain où elles s’insèrent.

Les murs des occupations marquent certes une rupture dans l’espace urbain, comme pour les condominios fermés, mais ces espaces résidentiels ne sont pas hermétiques, même si ils sont moins poreux que les favelas.

Les habitants des « copropriétés de fait », vivent dans l’espace public (en dehors de l’occupation), et l’utilisent comme lieu de sociabilité autant que les habitants des favelas. Les « copropriétés de fait » démontrent que la création d’un espace résidentiel physiquement fermé et collectif n’impose pas une rupture sociale avec la ville, malgré la présence d’équipements et de services exclusifs que l’on peut trouver à l’intérieur du milieu d’habitat, comme c’est le cas du « Palace ».

L’environnement urbain doit être assimilé comme l’imbrication du tissu spatial et du tissu social (Tsiomis, 1994). 29Si« ce sont les schémas de consommation et les modes de vie des couches sociales moyennes, voire moyenne-supérieures, qui tendent à s’imposer comme référents sociaux et urbains, aussi pour les classes populaires, excluant les populations marginalisées qui n’y ont effectivement pas du tout accès » (Capron, 2006, p. 260), il semble que les « copropriétés de fait » ne copient pas intégralement le modèle des condominios fermés cariocas.

Toutefois, l’implantation des équipements à l’intérieur, tels que la piscine et les noms donnés aux invasions (« Palace » et « Condominio Barra Vela »), révèle l’appropriation de références idéalisées du modèle d’habitat formel.

 

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La production des « copropriétés de fait » dans l’Avenida Brasil relève bien d’une recherche d’identité sociale pour les habitants, ancrée dans le territoire et dans le mode d’habitat particulier que constituent ces invasions. Si le fait d’établir des limites territoriales permet à la communauté de se renforcer dans son identité et dans son autonomie, les invasions semblent vraisemblablement y répondre et ainsi se détacher du modèle des favelas, en revendiquant leur propre identité dans la ville. Plutôt que d’affirmer l’émergence d’un nouveau groupe social, placé au-dessus des habitants des favelas et plus proche de la classe moyenne, le phénomène des « copropriétés de fait » pourrait être compris comme un modèle consécutif à « l’intériorisation des modèles, par les individus »(Juan, 1995, p. 174).

La circulation de modèles s’accomplit à un rythme bien plus rapide dans la société actuelle, en raison de l’interdépendance progressive des différentes couches sociales, des contacts plus étroits, des tensions plus fréquentes qu’elle entraîne(Elias, 1990).

Ainsi, les « copropriétés de fait » démontrent une réinvention de l’habitat populaire à partir de l’intégration des références du modèle de la couche sociale plus aisée (les condominios) adaptées selon « l’habitus » (Bourdieu, 1980) du groupe social qui constitue les« copropriétés de fait ».

 

( D’après Maíra Machado-Martins, Professeure à l’École d’architecture et d’urbanisme
Pontificia Universidade Catolica do Rio de Janeiro (PUC-RJ)

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